Des couvents en héritage / Religious Houses : A Legacy
Université Concordia (Montréal) et monastère des Ursulines (Québec), 7 au 11 octobre 2009. Pour plus d’informations : www.colloquepatrimoinereligieux.qc.ca
Argumentaire
Partout en Occident (Europe et Amériques), des communautés religieuses dont le recrutement s’essouffle doivent quitter le couvent, l’abbaye, le monastère ou la mission qu’elles ont traditionnellement habité et animé. Ainsi, de plus en plus souvent désaffectés ou en voie de l’être, les ensembles conventuels tiennent néanmoins une position stratégique dans un paysage régional ou le tissu urbain et prennent un espace prépondérant dans la mémoire et l’imaginaire collectif de nos sociétés. Les maisons des religieux et des religieuses suscitent aussi la convoitise. De fait, la conversion des immeubles en bureaux haut de gamme, en résidences de luxe ou en hôtellerie de prestige fait rêver, d’autant que les ensembles conventuels occupent souvent des sites grandioses : couvents, abbayes et monastères se couplent, en effet, tantôt à d’amples espaces verts qui leur font écrin – véritables poumons des villes qui les enserrent, dorénavant –, tantôt à d’intimes jardins, cloîtres ou cours intérieures qu’ils protègent et préservent du brouhaha moderne.
Pour relativement aisée qu’elle puisse paraître – techniquement, à tout le moins –, la conversion de ces couvents, abbayes ou monastères qui ponctuent nos paysages humanisés ne soulève pas moins de lourds questionnements sur le plan patrimonial. Souvent hérités d’époques historiques lointaines dont ils portent l’empreinte architecturale, tantôt chéris par les citoyens qui défendent jalousement ces oasis de leur voisinage, tantôt rituellement reconnus ou simplement recherchés pour favoriser diverses quêtes spirituelles, tantôt, encore, investis par une véritable tradition de revendication patrimoniale, les ensembles conventuels soulèvent les passions lorsque, leur communauté les délaissant, ils risquent d’être démolis, remplacés ou simplement destinés à un usage commercial et privé. Or, si tout le monde convient de dimensions paysagères, architecturales, historiques ou mémorielles qui, dans la plupart des cas, pourraient, au nom de l’intérêt public, justifier un accompagnement de l’État dans le changement de vocation des couvents, des abbayes ou des monastères, leur désaffectation et leur éventuelle réaffectation, dans une société sécularisée, recouvrent un spectre étendu de défis, eu égard aux interventions financières, juridiques, urbanistiques, voire muséologiques qu’appellent leur changement de propriétaire et d’usage.
La métamorphose de la vocation des couvents, abbayes, monastères et missions soulève des questionnements de trois ordres : celui de lapropriété, celui de l’usage et celui de la mémoire. Par conséquent, ces trois grandes thématiques articulent les questionnements retenus ici, afin de mettre en perspective l’avenir des immeubles, la spécificité des milieux (urbain, périurbain, rural, etc.) qu’ils ont contribué à forger et l’héritage que leur sillon porte, dans l’imaginaire et dans l’espace.
Il convient, premièrement, d’examiner l’impact de la structure de propriété des ensembles conventuels sur l’appropriation citoyenne et leur patrimonialisation éventuelle. Cela, d’autant que le débat sur la réaffectation des ensembles conventuels engage non seulement les bâtiments – ainsi que certains biens mobiliers, parfois –, mais aussi de grands espaces naturels ou naturalisés, souvent assujettis à de considérables pressions de développement immobilier. Mais le changement d’un régime de propriété (par la congrégation ou la communauté religieuse) vers un autre (un organisme civil quelconque) comporte aussi de nombreux enjeux fiscaux et urbanistiques : dégrèvement (ou non) de taxes foncières, zonage, système de préservation paysagère et urbaine, etc. Comment le cadre fiscal et urbanistique de la propriété, de même que les leviers financiers qu’il permet d’actionner et les usages qu’il conditionne, peut-il favoriser ou défavoriser la patrimonialisation des ensembles conventuels?
Deuxièmement, l’avenir des couvents, abbayes, monastères et missions a trait aux diverses dimensions de l’usage des propriétés en question. En effet, si l’implantation de nouvelles utilisations, dans les bâtiments relativement multifonctionnels ou dans les vastes parcs qui les entourent, relève d’opérations de recyclage autrement plus simples que celles qu’appelle, par exemple, la conversion des églises, l’introduction de fonctions inusitées peut aussi entrer en conflit avec l’une ou l’autre des diverses dimensions patrimoniales en cause. Vers l’extérieur, la réaffectation s’interpose dans la relation entre le couvent et l’environnement, urbain ou périurbain, dont il a souvent motivé et articulé le développement : la question de l’usage impose alors de réfléchir au risque de perdre le sens même de la ville. Vers l’intérieur, la réaffectation inquiète plutôt quant à la signification des bâtiments, puisque, dans tous les cas, l’utilisation civile des lieux est confrontée aux dimensions symboliques qui les jalonnent, que ce soit lorsqu’il s’agit, par exemple, d’employer à d’autres fins que le culte la chapelle principale, souvent prépondérante dans les ensembles architecturaux, ou lorsque, plus généralement, on impose la cohabitation de la fonction nouvelle et des divers signes religieux qui caractérisent l’ensemble conventuel (vitraux, iconographie, cimetières, etc.). Bref, comment concilier d’une part l’usage des ensembles conventuels et d’autre part le déploiement paysager et la charge symbolique qui justifient leur patrimonialisation ?
Troisièmement, l’avenir des couvents, abbayes, monastères et missions met en cause la mémoire et sa perpétuation. Le problème de la réaffectation touche alors au contenu, matériel et immatériel, des bâtiments. Il s’agit, bien sûr, des archives, des bibliothèques et des collections soigneusement préservées, amples trésors parfois convoités, mais dont la seule préservation remet vivement en question nos moyens collectifs d’emmagasiner et de classer selon les règles de l’art. Mais le contenu des ensembles conventuels relève aussi de l’évocation des religieux et des religieuses, et plus globalement de la mémoire de l’œuvre qui a pris corps dans les ensembles réaffectés. Comment, lorsque la communauté religieuse a quitté ces murs, perpétuer le souvenir de ses actions, en tant que faits d’histoire ? Comment, à travers la sécularisation, préserver et mettre en valeur la mémoire des religieux et des religieuses ?
Organisation
Selon ces trois thématiques – la propriété, l’usage et la mémoire – et les questions qu’elles soulèvent, le colloque permettra de mettre en commun, de confronter et d’évaluer les solutions apportées sur les plans théorique et pratique qui, dans l’histoire ou aujourd’hui, ont été innovatrices en matière d’affectation ou de gouvernance des ensembles conventuels, de même que d’en vérifier la faisabilité. Puisqu’il s’agit ici de confronter leurs expériences, les chercheurs, décideurs et professionnels se répartiront dans des ateliers pour discuter de l’une ou l’autre des trois thématiques. Il y aura également des présentations par affiche et des projections de documentaires sur le thème de la conversion des couvents.
Il s’agit de construire en quelque sorte un « entonnoir » d’idées en vue de contribuer à la réflexion et d’alimenter la résolution du problème pan-occidental que représente la désaffectation des couvents, des abbayes et des monastères. Pour cette raison, le colloque s’articule, en amont et en aval de la rencontre prévue des chercheurs, décideurs et professionnels, à des activités et à des véhicules de discussion destinés à stimuler et à démultiplier les échanges.
Une anthologie sera aussi éditée et distribuée aux participants, avant le colloque : on y fera le bilan des connaissances sur la problématique et les enjeux de la désaffectation et de la réaffectation des ensembles conventuels, afin que tous aient la même information de base quant aux diverses dimensions du problème ciblé et disposent de données précises qui nourriront la discussion. Un programme de visites leur sera aussi proposé, au cours du colloque, ce qui favorisera semblablement le partage des solutions explorées autour de cas concrets. Enfin, au lendemain de l’événement, les actes du colloque seront publiés (par les Presses de l’Université du Québec) sous la forme d’une anthologie scientifique soumise à l’arbitrage.